La philanthropie bouleverse l’équilibre économique mondial

A mesure que l’économie se mondialise et se "financiarise", l’enjeu éthique grandit et mobilise tous les acteurs : individus, entreprises et Etats. Dans sa treizième édition parue jeudi 31 mai, le Rapport moral sur l’argent dans le monde édité par l’Association d’économie financière, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), dresse un état des lieux sans complaisance de l’économie mondiale, à travers les contributions d’intellectuels et de décideurs économiques et politiques.

"Il est difficile de dire si la finance devient plus morale, commente Antoine Mérieux, coordinateur du rapport. Notre objectif est de rendre compte des bonnes pratiques qui émergent et parviennent à concilier les critères de bonne gestion et de rentabilité avec des principes tels que l’équité et la solidarité, tout en restant vigilant sur les problèmes qui perdurent, en matière de gouvernance, de scandales financiers ou de blanchiment d’argent."

Parmi les grands thèmes de cette édition 2007 (les enjeux de l’économie sociale, le contrôle des sociétés cotées, la lutte contre le blanchiment etc.), le Rapport moral s’intéresse à un phénomène fort l’an dernier : la montée en puissance des grandes fondations américaines dans le domaine de l’aide au développement, devenus des acteurs aussi puissants que certains Etats. L’émergence de ces fondations particulièrement visibles dans les secteurs de la santé, de l’agriculture ou de l’environnement, remet en cause les grands équilibres mondiaux. Elle oblige à une réflexion nouvelle sur la cohérence des aides et leur coordination au plan international.

Dans une contribution sur "les espaces de rencontres entre ces fondations et l’aide publique au développement", Xavier Musca, directeur général du Trésor et de la politique économique, montre que ces fondations américaines n’interviennent plus seulement aux Etats-Unis mais sur la scène internationale, avec des objectifs "d’intérêt général mondial" d’alphabétisation ou de lutte contre le sida.

LA TENDANCE VA S’ACCENTUER

Les montants dont disposent ces fondations, visibles depuis les années 1990 mais dont l’origine remonte au début du XXe siècle – les premières furent créées par des grands industriels ayant fait fortune et souhaitant réinvestir leurs profits dans des actions caritatives, dans la plus pure tradition américaine (Rockfeller, Carnegie, Ford) – sont colossaux.

En 2004, les financements versés par ces dernières ont atteint 32,4 milliards de dollars, selon des chiffres de l’Agence française de développement. La part des financements internationaux ne cesse d’augmenter et pourrait dépasser les 4 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros) en 2006.
Des montants qui, relève M. Musca, "se comparent sans pâlir aux crédits budgétaires de l’aide publique au développement de la France (3,1 milliards d’euros)".

La tendance va s’accentuer. En 2006, le milliardaire américain Warren Buffet a fait les gros titres de la presse internationale, en annonçant qu’il allouait 37 milliards de dollars de sa fortune à la fondation de l’industriel Bill Gates…
Une surenchère par rapport aux 31 milliards de dollars qu’avait lui-même versé le fondateur de Microsoft à sa fondation.
Le record de don était auparavant détenu par John Rockfeller.

L’urgence, pour le directeur du Trésor, est de réfléchir à cette "nouvelle architecture internationale de l’aide aux pays en développement", afin que la charité privée complète l’action publique (de la Banque mondiale, de l’ONU etc.) sans la concurrencer. Il s’agit de mesurer "le potentiel de nouveaux partenariats qui se présentent pour le développement des pays pauvres", écrit M. Musca. Il s’agit en fait d’éviter la création d’un marché de l’aide sélectionnant ses objectifs.

L’Europe n’échappe pas au phénomène. Mais à la différence Etats-Unis, l’aide privée au développement n’est pas le fait d’individus mais d’entreprises, dans le cadre d’actions de mécénat.
La France occupe une place à part dans ce paysage en plein bouleversement.
En raison de la place prise par la puissance publique, l’aide privée y reste contenue en dépit d’un cadre fiscal favorable récent pour les fondations. Le rapport moral fait cependant état de plusieurs initiatives jugées intéressantes, dont celles des Caisses d’épargne, du Crédit agricole et de Danone.

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