Une certaine idée du développement ou faut il en sortir ?

Extrait d’une interview de Gilbert Rist et Christian Comeliau, professeurs honoraires à l’institut universitaire d’études du développement IUED à Genève :

Le développement a été pendant des décennies présenté comme une panacée, le remède capable d’apporter le bien être à tous, au Sud comme au Nord, de mettre un terme à la maladie, à la misère et à la faim .
Les inégalités n’ayant cessé de se creuser et l’extrême pauvreté ayant gagné du terrain dans un monde pourtant de plus en plus riche depuis 50 ans, cette croyance a peu à peu perdu de sa force mobilisatrice .

Faut il pour autant faire table rase de ce credo et sortir du développement ?

Gilbert Rist :
Historiquement à partir de 1950, la course poursuite du Sud devait lui permettre de rattraper le Nord .
En réalité, la course poursuite n’a jamais eu lieu : Sur la ligne de départ, les uns se présentaient à vélo (le Sud) tandis que les autres (le Nord) pilotaient une formule 1 . Tout le monde a avancé mais à des rythmes différents .
La croissance a donc surtout été celle des inégalités tant entre les pays du Sud et ceux du Nord qu’à l’intérieur des pays .

Christian Comeliau :
En un demi siècle, le monde a enregistré de réels progrès dans les conditions de vie de milliards de personnes : espérances de vie, mortalité infantile, éducation et alphabétisation, etc …
Mais, des problèmes gigantesques demeurent et même s’aggravent : famine, malnutrition, accès à l’eau potable, épuisement des ressources naturelles, inégalités croissantes et cumulatives ; le fossé qui sépare les pays riches des autres, les groupes sociaux favorisés de ceux qui ne le sont pas, ne cesse de se creuser .

Il ne faut pas poser le problème du développement en terme de rattrapage car cela supposerait que le modèle inventé par les pays occidentaux soit un idéal digne d’être proposé au monde entier .
Hors ce modèle est critiquable pour de multiples raisons d’ordre éthique, économique, social ou écologique .
Il n’est d’ailleurs pas généralisable à l’ensemble de la planète et ne peut survivre que si il profite à une minorité donc s’il organise l’exclusion de tous les autres .

Les valeurs que sous tendent le credo du développement sont elles universelles ?

G.R :
Vous avez raison de parler de credo car le développement est d’abord une croyance née en Occident . Cette notion n’est pas universelle mais occidentale uniquement .
Ces valeurs nous paraissent naturelles mais elles ont mis longtemps à s’imposer même chez nous .
Jusqu’à la fin du XVII ème siècle, la maitrise de la nature ou l’idée d’un progrès infini paraissaient absurdes ou sacrilèges .
L’universalisme de ces valeurs, c’est nous qui le décrétons, non, sans une certaine arrogance .

C.C :
L’avenir du monde soulève une question centrale :
Certaines des valeurs occidentales comme le progrès social, la réduction de la misère et de l’oppression, la maîtrise des forces de la nature méritent d’être progressivement universalisées mais sans les imposer .
En particulier, il ne faut pas imposer nos modes de consommation, nos ambitions de richesses, nos institutions politiques et sociales . Chaque peuple doit pouvoir choisir librement son mode de développement . Il faut construire un monde qui permette à tous de vivre dans la dignité et dans la paix .
Il ne faut pas faire table rase de l’expérience occidentale et prétendre repartir d’une sorte de point zéro du développement . Certaines valeurs méritent d’être gardées, d’autres rejetées .
Qu’est ce qu’un pays développé ?
Un pays où tout à un prix, où tout se monnaie : l’eau, la terre, les semences, les soins aux enfants, la biodiversité, le permis de chasse, l’accès à la plage ou le droit de polluer !!!
C’est un schéma d’imposition d’une culture dominante et d’une rationalité économique au profit des plus forts même si tous les acteurs de cette domination (firmes multinationales en particulier) ne se trouvent  pas géographiquement en Occident .
Faut il pour autant abandonner le développement ?
Non, il s’agit plutôt pour le moment de permettre l’émergence d’autres types de développements .

Le concept de développement durable suffira il à corriger les impasses et contradictions du développement ?

G.R :
Le développement durable n’est qu’une vaste supercherie sémantique pour faire croire (encore !) que la croissance économique est conciliable avec le respect de la nature et des limites qu’elle impose . On se borne à polluer (un peu) moins, pour polluer plus longtemps . Alors qu’un enfant de cinq ans comprend qu’un développement infini dans un monde fini est impossible .
La recette du développement est très simple : pour assurer la croissance, il suffit d’exploiter et de dilapider le patrimoine commun de l’humanité . Les ressources naturelles non ou lentement renouvelables, le pétrole, les forêts, le minerai, les poissons des mers, l’air ou la terre (bétonnée) .
D’où l’urgence de sortir du développement et de songer à la décroissance .
Mieux vaut s’y préparer librement que d’y être contraint par les catastrophes écologiques qui s’annoncent .
On le sait mais on n’y croit pas ! Pourquoi ?

C.C :
Le concept de développement durable a le mérite de souligner la nécessité d’une perspective à long terme de répondre aux besoins de l’humanité sans compromettre les chances des générations futures .Cependant, il reste insatisfaisant car il ne propose pas de priorités et continue de se réfugier dans l’illusion d’une croissance globale indéfinie .

PROPOS RECUEILLIS PAR ERIC TARIANT .

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